CosmicHipHop :
Jace, voilà maintenant vingt ans que tu as débarqué à la Réunion, j'aimerais savoir
qu'est-ce qui t'a amené ici ?
Jace : Comme 3 "zoreils" (toubab - ndlr) sur 4 à l'époque : avec les parents .
Mon beau-père avait demandé sa mutation ici.
CHH : J'imagine qu'à l'époque le mouvement hip hop n'était pas encore très
répandu, il y avait quand même quelques taggers ?
J : En 81 sur que non ! Par contre après la diffusion de l'émission HIP-HOP de Sidney le
dimanche soir en 83 les mecs ont commencé à se mettre aux break, smurf.... Durant les
années 80 les pochoirs ont commencé à se répandre : sur St-Pierre les FORIR (parodie
de FODIR : groupe politique (?)) s'éclataient le plus, il y a eu W. Zitte et bien
d'autres encore, ce n'est que vers la fin des années 80 que j'ai commencé à découvrir
les premières brûlures.
CHH : Quel age a tu ? A quel age a tu touché pour la première fois à une bombe
de peinture ?
J : 28, à 11 ans pour repeindre mon vélo, véridique ! Avec un beau rouge vermillon
pailleté !!!!!!
CHH : Est-ce que tu pratiques le dessin et la peinture sur d'autres support ? si
oui lesquels
J : Indéniablement j'ai toujours essayé d'élargir ma vision des choses et cela est
passé entre autre par la recherche de nouvelles techniques, actuellement je travaille pas
mal à la craie grasse, d'ailleurs je prépare en ce moment une expo, mais rien à voir
avec le graff, par contre j'ai toujours été un pied avec les pinceaux.
CHH : Tes passions dans la vie ?
J : Devine !
CHH : Quel genre de musique écoutes tu ?
J : De tout , voir même parfois n'importe quoi : en ce moment dans ma voiture je fais
tourner par exemple Bobby Lapointe (si, si, c'est un tueur), Trio, Danyel Waro, mix-tape
de DJ Siens, Massiv attack... tu vois je bouffe à tous les râteliers.
CHH : Comment t'es venu l'idée du Gouzou ? Pourquoi l'avoir baptisé ainsi ?
J : Un beau jour d' octobre 92 je me suis dit : "tiens je vais regarder l'avenir dans
les entrailles de tous ces pauvres chiens écrasés" , et là, oh miracle ! Une
vision s'est offerte à moi, c'était un personnage ressemblant en tout point au gouzou,
je me suis dit : "je vais en faire mien". Depuis ce jour on ne se quitte plus.
Question baptême il est plutôt contre et je préfère préserver ces volontés.
CHH : Peut on dire que certains de tes gouzous contiennent un message, où
sont-ils là juste pour distraire ?
J : Bonne question Maitre Capello ! En fait certains d'entre eux ne sont là que pour
exister, surprendre, d'autres recèlent de messages plus ou moins compréhensibles,
d'allusions, d'énigmes.
CHH : Pourquoi n'ont-t-ils pas de visage ?
J : Cela permet tout bonnement à chacun de pouvoir s'identifier, il n'en ressort que plus
de force, d'intensité. Cela laisse également une part à l'imaginaire, il arrive que
pour une même peinture les gens me donnent différentes interprétations et ça, ça me
fait délirer.
CHH : Quels sont les différents contrats que tu as déjà passé pour des
graffitis ?
J : Oh, t'es du fisc ou quoi? Sans rire, j'ai eu la chance de faire pas mal de truc super
intéressant avec ma peinture (essentiellement en Métropole), cela va des traditionnels
magasins, au boîte de nuit, en passant par des cabinets d'avocats, le festival des
francofolies, un bar sur Maurice, divers décors pour la marque Killiwatch....
CHH : Où as tu le plus cartonné, à la Réunion ou en Métropole ?
J : Sans conteste en Métropole, 6 ans là bas ça laisse des traces, surtout sur le Havre
car cette ville s'y prête vraiment bien (reconstruction en béton gris affreux
d'après-guerre)
CHH : Que penses tu de l'actuel niveau en matière de tagg et de graff dans notre
île ?
J : Inégal : tu as quelques crews qui viennent d'émerger et qui assurent à tous les
niveaux, à côté de ça, y'a toujours des mecs qui s'obstinent à pomper des trucs qui
se faisait il y a dix ans. Le prétexte du "y'a pas de matos ici" n'explique pas
tout ! Personnellement j'aime bien poser avec mon pote MEO, qui a bien compris l'affaire.
CHH : Que penses tu de l'intérêt d'internet pour la reconnaissance des artistes
hip hop ?
J : Je suis malheureusement d'assez loin la culture internet. Par contre ce qui me semble
indéniable c'est que l'artiste qui veut promouvoir son travail ne peut plus négliger le
net, car bien que cela ne touche pas encore la grande majorité du public comme la télé
ou la radio, cela se démocratise de plus en plus avec les médiathèques, les écoles...
CHH : Pour finir, est-ce que tu penses déjà à recycler ta mascotte dans quelque
chose de plus rentable comme une marque de vêtement ou une bande dessinée ?
J : À vrai dire, je ne cherche pas à faire des millions avec ce personnage, tout d'abord
parce que ce ne sont pas les millions qui te rendent heureux (bah oui, il fallait bien que
je fasse un peu de moral ! Hein mon petit !). En fait on m'a déjà proposé de m'associer
pour utiliser ce perso, dites-vous le bien il n'est pas à vendre. Dernièrement on m'a
proposé de faire une pub SFR au niveau national, ça m'aurait bien botté si je gardais
le contrôle de mon personnage, mais c'est tombé à l'eau à cause du délai trop court.
En revanche j'ai déjà sorti quelque séries limitées de t-shirts pour me faire plaisir,
un bouquin (la suite devrait bientôt sortir). Mais sur des coups comme ça, ce qui
m'intéresse ce n'est pas de faire de la maille mais plutôt de rentrer dans ce que j'ai
investi !
[Bongo] |